Hébergement d'urgence : « Faites appliquer le droit, car cette situation est inacceptable ! »
À l’approche de la fin de la trêve hivernale le 31 mars et en pleine campagne électorale, le Collectif des associations unies (CAU), dont est membre le Secours Catholique, organise mercredi 23 mars deux rassemblements - l'un à Paris, place de la République, l'autre à Marseille, place des Réformés - pour alerter sur le manque de places d’hébergement d’urgence.
Chaque jour, c’est une personne sur deux appelant le 115 qui reste sans solution pour la nuit. Pour dénoncer l’embolie du système de l’hébergement d'urgence sur son territoire, le Secours Catholique de l’Hérault adresse une lettre ouverte au préfet lui rappelant l’obligation légale en la matière.
« Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. » Voici ce que dit l’article L345 du Code de l’action sociale et des familles. C’est en s’appuyant sur ce texte de loi que le Secours Catholique de l’Hérault, ainsi qu’Aréa, la Cimade, la fondation Abbé Pierre et Médecins du monde ont lancé une pétition - lettre ouverte adressée au préfet.
Chaque jour, quelque 1000 personnes se retrouvent en effet à Montpellier sans solution d’hébergement d’urgence. « L’idée, c'est de dire aux autorités : ouvrez de nouvelles places et faites appliquer le droit, car cette situation est inacceptable », explique Amélie Corpet, déléguée du Secours Catholique de l’Hérault.
« Rappelez demain ! »
L’association vit cette réalité de la saturation de l’hébergement d’urgence quotidiennement dans son accueil de jour. Les personnes à la rue, qui viennent se réchauffer ou boire un café, demandent aussi aux bénévoles d’appeler pour eux le 115. « Ça ne marche jamais », nous disent-elles. Elles sont découragées, témoigne Stéphanie, bénévole. Ça leur coûte d’avoir des refus systématiques alors j’appelle pour eux et j’entends le refus à leur place. »
Chaque matin c’est le même scénario : appeler le 115 à 9h30 pétantes, non-stop jusqu’à tomber sur un interlocuteur. Souvent, à 9h50 il n’y a déjà plus de place. « Une fois on m'a donné un duvet mais on me dit toujours de rappeler demain. C’est décourageant ! » témoigne Tony qui dort dans un parking pour se tenir chaud.
On déshumanise pour ne pas être touchés, mais il y a des gens qu’on voit dégringoler.
« J’appelle à 9h30, je suis mis en attente ou je tombe sur le répondeur puis au bout de 20 minutes il n’y a plus de place. C’est la loterie : un jour vous gagnez, un jour vous perdez », raconte encore Mohamed qui a pu souffler un peu en obtenant une place pour une nuit dans un centre d'hébergement d'urgence lors d’un week-end début mars. Mais le lendemain, sa place n’a pas été renouvelée.
La mission du SAMU social est aussi frustrante pour ses salariés, comme en témoigne Lise, écoutante du 115 durant dix ans : « toute la journée tu décroches le téléphone pour dire à des gens à la rue qu’il n’y a pas de solution. On déshumanise pour ne pas être touchés, mais il y a des gens qu’on voit dégringoler, dont on apprend la mort et dont la voix continue à nous hanter. »
« Comment voulez-vous qu’on tienne ? Dans la rue, le temps passe lentement, et on a froid, alors on est obligé de boire pour tenir », s’insurge Mohamed. C’est aussi le constat de Stéphanie, la bénévole : « Au fil des mois on voit la personne perdre pied et s’enfoncer. Sans toit stable, on ne construit rien. »
Dans l’Hérault comme partout ailleurs, si l’hébergement d’urgence est saturé, c’est aussi que le logement est encombré : « Il y a peu de débouchés vers le logement. Il reste rare et cher à Montpellier », pointe Amélie Corpet.
En pleine campagne électorale, l'objectif de la lettre adressée au préfet était aussi de sensibiliser l’opinion publique. « La question qu’on pose est celle-ci : a-t-on envie de vivre dans une société où il devient normal de voir des gens dormir dehors ? C’est alarmant car ne choque même plus de croiser des personnes à la rue », conclut Amélie Corpet.
Fanny Plançon, chargée de projet "de la rue au logement" à la direction action et plaidoyer du Secours Catholique |
L’hébergement d’urgence est le réceptacle d’autres politiques publiques défaillantes, au premier rang desquelles la politique du logement. Actuellement, la construction de logements sociaux et très sociaux est insuffisante et ne bénéficie pas aux ménages aux ressources modestes. Les APL ont par ailleurs été réduites fragilisant des milliers de ménages qui ne peuvent se maintenir dans leur logement et qui se tournent donc vers l’hébergement d’urgence.
Il faut par ailleurs mentionner la crise migratoire : aujourd’hui en France l’hébergement d’urgence est d’autant plus saturé que le dispositif dédié aux demandeurs d’asile et aux réfugiés est largement sous-dimensionné.
Enfin, de nombreuses personnes deviennent sans domicile parce que leur sortie d’institution est insuffisamment préparée : c’est par exemple le cas de jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance, de personnes sortant d’hospitalisation ou encore de personnes sortant de détention. L’ensemble de ces dysfonctionnements est à l’origine d’une tension extrême sur le secteur de l’hébergement d’urgence.
Il est vrai qu’aujourd’hui les capacités d’hébergement d’urgence atteignent un niveau record, avec environ 200 000 places au total en 2022 (hors dispositif d’accueil des demandeurs d’asile). On a vu avec la crise du coronavirus qu’il était possible d’augmenter le nombre de places pour parer à l’urgence. Mais ce développement quantitatif s’est fait au détriment de la qualité de la prise en charge. Et les besoins sont malgré tout loin d’être pourvus.
Chaque jour, ce sont 3000 à 3500 personnes qui appellent le 115, mais qui s’entendent dire qu’il n’y a pas de places pour elles. Ce chiffre exclut de fait les personnes qui n’ont pas réussi à joindre le 115 et celles qui n’essaient même plus d’appeler. On estime ainsi qu’il y a environ 30 000 personnes sans abri et sans solution d’hébergement d’urgence en France.
Le logement est, avec le climat, le grand absent de la campagne électorale, invisibilisant les situations dramatiques de mal-logement que connaissent 4,1 millions de personnes en France. Clairement, il faut remettre le sujet dans le débat public ! D’autant que 10 000 places d’hébergement d’urgence doivent être supprimées d’ici la fin de l’année, et que l’exclusion liée au logement risque de progresser encore avec l’inflation du coût de la vie et du chauffage.
Par ailleurs il nous faut relever collectivement le défi de l’accueil de toutes les personnes fuyant les conflits et la guerre, qu’il s’agisse de personnes ukrainiennes comme des autres. Et au-delà du problème de la saturation de l’hébergement d’urgence, les pouvoirs publics doivent s’engager en faveur d’une politique du logement plus ambitieuse pour que chacun accède à un logement digne et pérenne en conformité avec le principe du « logement d’abord ».